Ce jour il y a quelques siècles l’apôtre Paul s’est converti au christianisme, et sa décision m’offre une voie à l’histoire de l’architecte anglais Christopher Wren, qui travaillait pendant une époque où l’architecture était particulièrement chargée de sens religieux, et en plus ces vents de signification semblaient se déplacer avec une indifférence folle. Les dessins de Wren pour la cathédrale de Saint-Paul à Londres se sont emmêlés dans ces tourbillons, apparaissant d’abord comme des dessins catholiques, puis comme « des convertis » en des modèles anglicans, et plus tard encore un peu catholiques. Nous venons de voir comment l’architecture baroque a été utilisée à Rome comme propagande religieuse contre la Réforme (semaine 3 sur le blog anglais) ; ici on a une affaire un peu plus embrouillée. Concernant non seulement une architecture chargée de signification religieuse, mais aussi influencée par les puissants courants intellectuels de l’Angleterre du XVIIe siècle, qui contribuaient à une réponse empirique et ambiguë de la part de Wren.
Les saints et apôtres Pierre et Paul sont souvent liés par l’histoire qu’ils ont été martyrisés le même jour dans le cirque de Néron, c. 65. C’est pourquoi des nombreuses Églises portent le nom « Les Saints-Apôtres » pour désigner les deux ; l’église de Geneviève à Paris n’en est qu’un exemple (semaine 1 sur le blog en anglais). Pierre sera toujours « le père de l’Église », et le nombre d’églises portant son nom dépasse largement le nombre nommé pour Paul. Paul, pour sa part, a obtenu son importance avec ses lettres à divers groupes plaidant pour le christianisme, qui constituent plus de la moitié du Nouveau Testament. Paul n’était pas toujours un tel fan des chrétiens. À l’époque où il était connu sous le nom de Saül, il était bon pharisien qui prenait son travail de les persécuter au sérieux. Un jour, en route vers Damas, il fut accueilli par une vision du Christ qui lui demanda pourquoi il était si déterminé à harceler les chrétiens. N’ayant pas la bonne réponse, Saül fut frappé et aveuglé. Tâtonnant son chemin jusqu’à Damas, il a été guéri et baptisé comme Paul par le chrétien Ananias, et après cela, son chemin était fait. Nous connaissons tous la ferveur des convertis et les troubles qu’ils peuvent causer. Heureusement la ferveur de Paul se traduisit en bonnes œuvres et en lettres au lieu d’armes; il les a écrit aux Romains, aux Corinthiens, à tous ceux qui voulaient écouter, pour les convaincre que le christianisme était la voie à suivre. C’était un homme qui a pris parti, et notre histoire ici est celle des partis pris dans l’Angleterre du XVIIe siècle, et d’un bâtiment innocent qui a été formé par les tenailles d’un débat religieux et partisan.
Notre ami de l’Antiquité débarqua en Angleterre au début du VIIe siècle, mis sur la carte par Ethelbert, roi du Kent (Kent étant l’un des sept royaumes émergeant en Angleterre anglo-saxonne à ce moment). Ethelbert soutint le missionnaire Augustin dans ses efforts pour répandre le christianisme, lui permit de construire un monastère à Canterbury comme siège du son projet de conversion et fit construire à Londres une église dédiée à saint Paul pour le nouvel évêque là. Le bâtiment était en bois et alors destiné à brûler en ces temps médiévaux troublés, et son remplacement a subi le même sort. Enfin, en 962, la cathédrale de Paul a été reconstruite en pierre, a survécu des incendies et était remodelé par les Normands. Et comme costaude Normande elle tenait place comme le monument le plus imposant en Angleterre, et en deuxième place en taille en Europe continentale (le monastère de Cluny étant en première). Pour une idée de l’échelle de Saint-Paul dans son tissu urbain, pensez au plus grand navire de croisière Princess imaginable assis à côté d’une rangée de bidonvilles de pêche en bois.
La cathédrale a peut-être éclipsé ses voisins de Londres avec sa taille, mais elle a été pleinement intégrée à la vie quotidienne. Contrairement à la plupart d’autres cathédrales en Angleterre, qui étaient aussi des monastères, et séparé de leurs contextes urbains soit par leur placement au bord de la ville ou par leurs cloîtres et autres bâtiments monastiques, Saint-Paul n’était qu’une cathédrale ; il n’y avait pas un monastère. À partir du XIIIe siècle, le bâtiment faisait le service de toutes sortes d’activités publiques comme des événements sportifs et des spectacles. À une certaine époque, ses transepts impressionnants ont même servies des rues, reliant Carter Lane au sud avec Pater Noster Rewe au nord. L’espace ouvert dans l’angle nord-est du complexe participé dans la vie quotidienne en devenant un centre célèbre de débat. Connu sous le nom de Churchyard, il contenait une chaire extérieure appelée Paul’s Cross, qui a été utilisée pendant environ 400 ans — c. 1250 à 1630 — comme perchoir à partir duquel on donnait des proclamations, ou des conférences sur la politique ou sur la théologie.
Vers 1630 cependant, la cathédrale était en mauvais était, grâce en partie à l’histoire religieuse de l’Angleterre. Saint-Paul a commencé, comme toutes les premières églises, comme une église chrétienne, et utilisait comme base la liturgie catholique. Mais quand le roi Henry VIII (régné 1509-1547) a rompu avec l’Église en 1534 et s’est déclaré chef de l’Église d’Angleterre, Saint-Paul a dû servir la liturgie protestante, et continuerait à le faire pour le reste de son histoire sauf pour des brèves périodes sous les monarques catholiques. Dans la Rome baroque, des églises ont été construites pour promouvoir la foi catholique. À Londres baroque, sous Henri VIII, des églises furent détruites pour promouvoir la Réforme. Ce qui signifie que, à St. Paul comme à plusieurs autres endroits, des statues et des décorations ont été démolies si elles semblaient papistes au moindre regard. St. Paul a souffert pour d’autres raisons aussi : en 1561 un coup de foudre avait détruit le clocher et une partie du toit. Plusieurs années plus tard, en 1633, l’architecte Inigo Jones (1573-1652) est engagé pour commencer la restauration, et certains travaux sont achevés lorsque la guerre civile de 1642 interrompait le projet, et la nef est utilisée pour abriter des casernes et 800 chevaux. Le roi Charles II (régné 1660 à 1685) était prêt à recommencer les travaux avec notre héros Christopher Wren, et un plan fut approuvé en août 1666 qui conserva une grande partie de la conception de Jones, mais avec un nouvel et grandiose élément, l’essentiel pour Wren, un dôme. Puis, une semaine plus tard, vous l’avez deviné; ce que se passait en 1666 : un petit incendie dans une boulangerie de Pudding Lane s’est transformé en The Great Fire of London. L’incendie, bien que désastreux, a fait de Wren un homme riche, car non seulement il a été engagé pour concevoir la nouvelle cathédrale, mais aussi pour concevoir 52 des 87 petites églises de Londres qui avaient aussi brûlé — et ça c’est une toute autre histoire. Wren a également été embauché pour faire un nouveau plan de la ville, qui n’a jamais été adopté, et d’arpenter les vestiges archéologiques de sites romains nouvellement exposés par l’incendie.
Avant d’entrer dans les emmerdements de Wren avec Saint-Paul, il nous aidera de connaître un peu de l’architecture qui étaient en mode au XVIe et XVIIe siècle en Angleterre. Cent ans avant que Wren ne devienne l’architecte de la cathédrale, John Shute avait publié un traité sur les sexes d’ordres architecturaux (The First & Chief Groundes of Architecture, 1563) dans lequel les ordres dorique et toscan étaient des mâles robustes (Atlas était dorique et Hercule était toscan), et les ordres ionique et corinthien étaient féminins ; l’ionique était la matrone Hera, et le corinthien était le virginal Aphrodite. L’Ordre toscan était doté d’une signification particulière, car il personnifiait l’ascendance romaine en Angleterre. L’architecte Inigo Jones avait fait un dessin de restauration de Stonehenge en utilisant cet ordre parce qu’il pensait que Brutus et / ou César avait créé ce monument. Les ordres avaient également des identités religieuses et Jones a dû être prudent avec celui qu’il a utilisé, selon ses clients. Avec un client protestant (Edward VI, Charles Ier), il a choisi les bons protestants, les plus simples et les plus masculins, soit le dorique ou le toscan. Pour des clients catholiques (Anne du Danemark et Jacques I), il était libre de jouer avec les ordres ioniques et corinthiens.
Wren était bien au courant de toute cette théorie, mais d’après l’analyse de l’historien du XXe siècle John Summerson, il était moins affecté par ce genre d’associations que par les nouveaux courants des pensées émergeants dans la science et l’érudition. Summerson voit l’architecture de Wren comme des exercices en la grammaire latine, soigneusement exprimés avec la même clarté, et en plus, comme des expressions de la science empirique. (Pour vous, latinistes, vous adorerez cette citation de Summerson : « One might compare the compact disposal of a return cornice with a neat use of the ablative absolute . » (On pourrait comparer la disposition compacte d’une corniche de retour avec une utilisation soignée de l’absolu ablatif… P.65, Heavenly Mansions) Pour Summerson, Wren n’aurait jamais l’intuition artistique que l’on retrouve dans l’œuvre des Italiens, bien qu’il les admirât beaucoup, bien qu’ils soient tous bons catholiques. Il a rencontré l’Italien Bernini à Paris en 1665, alors que Bernini travaillait au Louvre, et Wren a écrit dans une lettre : « I would have given my skin for a view of Bernini’s designs for the Louvre, but the old reserved Italian gave me but a few minutes’ view » (J’aurais donné ma peau pour voir les dessins du Bernini pour le Louvre, mais l’ancien et discret italien ne m’a donné que quelques minutes de vue.) Franchement, il me semble que Bernini n’était jamais, à travers son œuvre en tout cas, discret. Wren admirait également l’architecte Borromini et plus tard, dans ses dessins pour les clochers des églises rebâties en Londres après l’incendie, il empruntera des éléments fantastiques des clochers de Rome dessinées par l’italien.
De 1672 à 1675, c’était tabula rasa pour la cathédrale de Saint-Paul et Wren a commencé une série de trois dessins pour le comité de construction, effectivement le roi Charles II, le doyen, et les parsons. La première conception était un plan central pur et simple; son idée primaire étant d’avoir un grand dôme qui avait moins à voir avec le ciel du paradis (cf l’architecture byzantine) qu’avec la science de la construction et les mathématiques. Pas de nef, pas d’orientation particulière, très probablement influencée par la conception de Bramante pour Saint-Pierre à Rome récemment publiée par Serlio. Le roi, qui était religieusement ambivalent, l’aurait accepté, mais les pasteurs le détestaient; il n’y avait pas d’accommodement pour la prédication, et même s’ils voulaient qu’une église rivalise avec la taille de Saint-Pierre à Rome, ils ne voulaient pas faire partie d’une telle église catholique comme une église ronde. L’année suivante, en 1673, Wren est revenu avec un dessin s’appelait le Great Model, qui ajoutait une courte nef mais gardait un grand dôme. La maquette était vraiment « great » parce qu’on pouvait marcher dedans. Cette idée aussi a été fermement rejeté par le comité, et on dit que Wren a pleuré. Enfin, en 1675, Wren produit le Warrant Design, qui constitue la base de l’église que vous voyez aujourd’hui, un plan de croix gothique ou latine, mais toujours avec une grande coupole. Il y a eu beaucoup de changements en cours de route, et le dôme est devenu célèbre pour sa hauteur et sa conception triple coque (chapeau, Wren !) mais aussi pour la maladresse de sa résolution avec les pilastres de soutien ci-dessous (pas terrible, dude), mais vous pouvez blâmer cela sur l’esprit curieux et scientifique de Wren. Si vous regardez ce dôme en détail, n’oubliez pas de chercher un dôme très similaire qui a été érigéà peu près à la même époque à Paris, celui des Invalides, conçu par Jules-Hardouin-Mansart (le bâtiment lui-même a été principalement conçu par Libéral Bruant).
Et si vous êtes si enclin, pensez à l’esprit scientifique, et surtout au rôle de l’architecture dans la prise des partis politiques et religieux.
Références
Sites Web:
Les cloches de St. Paul sont célèbres aussi. Voici un lien vers l’un d’entre eux : http://www.hibberts.co.uk/collect1/greatpaul.mp3
Livres et articles
Veuillez noter que les sources énumérées ici peuvent être disponibles dans des éditions plus récentes.
Braunfels, Wolfgang. Monasteries of Western Europe: The Architecture of the Orders. Princeton: Princeton University Press, 1972.
Schofield, John. St. Paul’s Cathedral: Archaeology and History. Oxford: Oxbow Books, 2016.
Summerson, John. Heavenly Mansions and other Essays on Architecture. New York: W.W. Norton & Co., Inc., 1963.
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